L’Histoire de France comme si vous y étiez: le feuilleton!

Épisode 1: Au cœur de la Préhistoire

L’irruption de l’art moderne (-35 000, Ardèche)

Vous êtes un Homo Sapiens, en chair et en os. Votre espèce a pris son essor en Afrique au moment même où Neandertal commençait à s’épanouir en Europe. Puis vos ancêtres ont gagné le Proche-Orient et sont passés par l’Italie avant d’atteindre la France. Votre intelligence n’est pas très inférieure à celle de vos descendants qui, dans un éclair de sagesse, inventeront la bombe atomique : vous appartenez à l’espèce qui conquerra le Monde et éliminera tous ses rivaux.

Disons-le tout de suite : vous êtes particulièrement chétif et votre constitution n’est pas du tout adaptée à la conquête de climats aussi hostiles que celui de la France. D’autant qu’on est à nouveau en pleine glaciation, encore une ! Ce n’est pas un hasard : les épisodes interglaciaires ne sont que de courtes trêves de quelques milliers d’années entre des glaciations dix fois plus longues. La norme, c’est la glaciation.

En l’occurrence, il s’agit de la glaciation de Würm, la dernière avant l’époque où les hommes combattront les incendies à coups de canadairs. Il fait huit degrés de moins et pourtant vous êtes là, vous le descendant d’immigrés africains. Vous êtes là parce que vous savez utiliser votre cerveau comme personne. Vous avez compensé votre fragilité en vous appropriant les attributs de vos concurrents mieux dotés que vous : en d’autres termes, vous avez dépouillé les animaux de leurs fourrures pour vous en revêtir.

Vous avez trouvé refuge dans une grotte qui vous sert de quartier d’hiver. Vous mangez de tout, mais dans cette région, cela consiste surtout à manger de la viande. Et si vos petits-déjeuners sont à base de rongeurs et d’oiseaux, votre grande passion, c’est la chasse au gros gibier. Elle vous emmène dans des expéditions de plusieurs jours qui vous donnent l’occasion de révéler toute votre valeur dans des actes héroïques : chevaux, bisons, rennes, aurochs, bouquetins, mégacéros, autant d’animaux qui demandent de la ruse, de la vitesse et de la précision. Et puis il y a bien sûr les trophées exceptionnels, ceux que vous chassez pour la gloire davantage que pour la faim : les rhinocéros laineux, et même les mammouths ! Il y a tant de choses à raconter à votre retour, tant d’exploits à chanter le soir autour du feu !

La défense contre les prédateurs n’est pas la moindre de vos tâches : quand un ours ou une panthère se met en tête de manger de l’humain, c’est votre vie qui est en jeu. Et lorsque vous terrassez votre adversaire, c’est toute la tribu qui est en liesse. Il n’y a pas à dire : votre vie est une fascinante aventure digne de figurer dans un roman illustré !

Un roman illustré… Il ne vous a pas fallu longtemps pour joindre le geste à la parole : sur les parois de votre grotte, à la lumière des torches, vous avez commencé à peindre, à peindre votre vie pour retrouver dans le dessin de cette panthère l’excitation du combat pour la survie, pour rappeler dans les courbes de ce mammouth toute la valeur des hommes de votre tribu.

Vos enfants poursuivront votre œuvre, enrichissant cette grotte de nouveaux témoignages, attestant de la noblesse de votre lignée. Et c’est ainsi qu’un beau jour, l’un de vos lointains descendants nommé Chauvet découvrira cette fresque, une fresque unique en cette époque si reculée. Disons-le sans ambages : jusqu’à preuve du contraire, c’est en France que l’Humanité a créé sa première œuvre d’art digne de ce nom. Et cela, c’est grâce à vous.

Quant aux Néandertaliens installés en France depuis bien plus longtemps, vous les croisez parfois au cours de vos excursions et vous les craignez. Ils sont plus forts, plus robustes, mieux taillés pour affronter ces contrées hostiles. Et quand vient l’hiver après un été d’aurochs maigres, votre abri si bien situé attise les convoitises : il arrive alors que les combats soient inévitables. Ce sont de douloureux souvenirs et ceux-là, vous ne les peignez pas sur les parois de votre grotte.

Heureusement, vous compensez votre infériorité physique par votre intelligence tactique. Au risque de verser dans l’idée convenue, il faut tout de même le reconnaître : à vos yeux, le Neandertal n’est qu’un barbare inculte aux mœurs frustes, malhabile de ses mains et présentant un sens artistique pour le moins primitif. Il est bien assez intelligent pour se défendre et survivre encore longtemps : il sera d’ailleurs le dernier Hominine au monde à vous résister, vous le Sapiens, ce qui n’est pas un mince exploit. Mais à terme, il est condamné. Dans sept mille ans, on n’entendra plus parler de lui.

Vous craignez davantage vos propres semblables, les Homo Sapiens des autres tribus ; et si les rencontres sont le plus souvent pacifiques, étonnamment propices à la fécondité des femelles, elles peuvent parfois se solder par des guerres meurtrières. C’est ainsi : quand les refuges se font rares et les hommes trop nombreux, il faut se battre ou mourir. Or il se trouve que vous n’avez pas envie de mourir. Donc, vous tuez.

[…]

Le retour des beaux jours (-9000, Lot-et-Garonne)

Enfin ! Elle est derrière vous, cette interminable glaciation de Würm : vous êtes entré dans l’Holocène ! Depuis quelques centaines d’années il fait à nouveau doux, une douceur qui se maintiendra jusqu’à l’époque des plages littorales bondées. Et ce n’est pas peu dire : c’est le premier interglaciaire depuis qu’Homo Sapiens a gagné l’Europe. L’application inédite de son intelligence sur un environnement plus généreux va en faire un cocktail explosif pour l’évolution humaine.

Votre environnement a bien changé depuis l’époque glaciaire : adieu les steppes immenses propices aux vastes troupeaux ! Avec le redoux, l’humidité est revenue : il pleut beaucoup et le paysage est entièrement recouvert d’une épaisse forêt.  Il n’y a guère que les landes d’altitude qui parviennent à se dégager de ce sombre manteau vert.

En conséquence, votre monde s’est considérablement rétréci : vous n’avez plus d’autre horizon que la pénombre des sous-bois qui vous entourent. Heureusement, le gibier foisonne, dopé par cette nouvelle poussée de végétation comestible : vous n’avez plus besoin de parcourir autant de distance pour attraper vos proies. Dorénavant, vos menus sont à base de sangliers, de biches, de chevreuils et de castors. La multiplication des plantes vous a aussi permis de diversifier votre alimentation : vous n’êtes plus autant carnivore qu’auparavant. Et vous avez un péché mignon : l’escargot, qui s’en donne à cœur-joie sur ces sols humides. Vous en mangez des kilos ! Pas de doute, vous êtes déjà bien français…

Le changement de faune a aussi entraîné un changement dans votre armement : finis les gros épieux destinés aux bisons et autres bovidés ! Vous avez maintenant une autre arme de prédilection, idéale pour les milieux forestiers : l’arc. Vos flèches blessent le gibier, vos chiens le fatiguent, et il ne vous reste plus qu’à l’achever au couteau. C’est moins héroïque qu’à l’âge de vos lointains ancêtres, mais c’est tellement plus facile !

Tout va pour le mieux, conclurez-vous : vous avez chaud, vous mangez à votre faim. Depuis la fin de la glaciation, votre environnement naturel est bien plus adapté à vos besoins. Oui mais voilà : tout le monde en a profité. Et si vos proies sont plus nombreuses et plus proches, vos ennemis aussi. C’est un peu comme si tout s’était rétréci, l’espace comme le temps, et ça vous raccourcit la vie.

Vous tombez maintenant régulièrement sur les traces de tribus voisines ; le problème, c’est qu’elles vous repèrent tout aussi bien. Le gibier s’est multiplié, mais la compétition aussi. Et si la plupart de vos rencontres restent pacifiques, d’autres se soldent par des conflits meurtriers destinés à préserver vos espaces de chasse respectifs. Vous ne pouvez pas éviter ces guerres entre tribus : les humains se multiplient trop vite, leurs espaces vitaux se chevauchent.

Par ailleurs, cette forte densité de population couplée au climat plus chaud et plus humide est favorable au développement des épidémies. Résultat : votre espérance de vie a chuté. Rares sont ceux qui dépassent les trente ans. Ca naît et ça meurt sans arrêt : vous êtes comme des libellules, si nombreuses mais si fragiles.

C’est la dure réalité du mésolithique : le redoux, si favorable à l’Homme en tant qu’espèce, n’a pas bénéficié à l’individu comme vous l’auriez espéré. Vos ancêtres des glaces avaient la Nature pour principal adversaire ; dorénavant, votre plus grand ennemi, c’est l’Homme.

Lire la suite: épisode 2

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